Interview
Frédéric Brunier - Directeur achats et supply chain - Fives
« Faire des acheteurs le bras armé du bureau d’études »
Par la rédaction
Frédéric Brunier - Directeur achats et supply chain - Fives
« Faire des acheteurs le bras armé du bureau d’études »

La direction des achats du groupe Fives est le fer de lance du changement de culture d’entreprise de ce groupe composé de 80 filiales au fort degré d’autonomie. La mission de conduite du changement de Frédéric Brunier passe par une profonde digitalisation des pratiques achats qui doit libérer l’énergie des acheteurs et une intense activité d’animation de la communauté achats groupe.
Comment les Achats contribuent-ils aux objectifs
stratégiques du groupe Fives ?
Fives est un groupe décentralisé composé de 80 filiales
réparties dans le monde, avec des activités très variées allant de
grands projets de type alumineries et cimenteries, jusqu’à la
construction de machines de précision pour l’automobile. Le premier
enjeu au niveau de la direction achats consiste à réussir à trouver
les bonnes pratiques achats susceptibles de s’appliquer aussi bien
dans chacun de ces différents contextes et le second à faire
prendre le virage de la digitalisation à nos acheteurs ;
virage qui a été initié en 2018 avec la mise en place d’un portail
fournisseurs.
Quelles sont les grandes étapes du déploiement de ce
portail fournisseurs ?
Quelques sites américains avaient déjà un portail fournisseurs
maison. En Europe où nous réalisons encore 50 % de nos achats
en montant, nous avons lancé en 2018 la digitalisation sur deux
sites avec l’éditeur italien Iungo, en Italie et en Angleterre.
Cela s’est avéré un succès marqué par une amélioration de nombreux
indicateurs comme par exemple l’OTD fournisseurs et plus
globalement le temps que les acheteurs peuvent désormais consacrer
à faire des achats plutôt que de l’approvisionnement. Nous avons
donc décidé d’étendre la mise en place de ce portail fournisseurs à
l’ensemble de nos grandes filiales. Le choix de l’éditeur à qui
nous allons confier ce projet est actuellement en cours de
finalisation.
Quelles sont les étapes suivantes de la digitalisation de
vos pratiques achats ?
Nous sommes également en train de pousser au maximum les
logiques d’automatisation via SAP, depuis l’émission du besoin
jusqu’à la commande. Sur ces tâches que les acheteurs faisaient
jusqu’ici manuellement nous pouvons économiser à terme à peu près
deux heures par jour. C’est autant de temps que nous pourrons
réinvestir dans des postes dédiés à faire de l’achat
stratégique.
En parallèle de ces deux premiers piliers – portail
fournisseur et automatisation des commandes – nous avons aussi
mis en place un système de SRM pour mieux communiquer au niveau de
nos fournisseurs. Le choix de l’éditeur est, là aussi, en cours de
finalisation. Nous avions déjà mis en place depuis deux ans un
Spend Data Lake (avec Qlikview). Toutes les filiales reportent
leurs achats au niveau du groupe, avec une segmentation unique. Un
travail très important d’harmonisation a été produit pour parvenir
à ce résultat, grâce auquel nous sommes aujourd’hui en phase et
nous pouvons comparer les dépenses de chaque pays. Nous pouvons
maintenant aller plus loin avec cet outil en ajoutant une
connaissance sur la performance des fournisseurs, avec un système
de notation unique au niveau groupe. Dans un deuxième temps, nous
allons également mettre en place une solution d’e-RFP et une base
contractuelle unique.La dimension digitalisation dépasse les seuls Achats ;
elle est inscrite dans l’ADN de Fives qui a une filiale dédiée à
l’intelligence artificielle. Elle irrigue le groupe depuis ses
produits jusqu’à ses process internes.
Les process achats sont-ils unifiés entre chacune des
80 filiales du groupe ?
L’an dernier, nous avons effectué un diagnostic très poussé de
la maturité achat dans toutes nos filiales, afin d’identifier les
meilleures pratiques transposables soit au niveau d’une division,
soit au niveau du groupe, afin d’en faire des standards. À l’issue
de cette phase de diagnostic fondée sur des auto-évaluations des
directions achats des filiales, nous avons émis des directives
achats avec la direction du contrôle interne qui détaillent ce que
nous attendons sur chacun des process et chaque filiale s’est
engagée sur des axes de travail.
La direction des achats de notre filiale cimenterie qui est très
performante sur le chiffrage avant-projet et l’intégration des
Achats en amont va par exemple former les autres sur ce
thème ; sur le SRM, ce sera notre filiale Fives Intralogistics
en Italie qui a poussé très loin le management des
fournisseurs ; les États-Unis sur la mise en place des
portails fournisseurs ; les Mexicains qui sont les plus
avancés sur la procédure d’achat en termes de contrôle qualité
formeront les autres régions sur les achats Best Cost, etc.Quelles sont les autres fonctions de l’entreprise qui vous
accompagnent dans ce travail de conduite du
changement ?
Outre la direction du contrôle interne, nous travaillons avec
la direction de la transformation et la direction de la compliance.
La direction des ressources humaines est également régulièrement
informée de ce que nous faisons, car nous allons revoir avec eux
notre catalogue de formations pour qu’il corresponde aux besoins
futurs de la fonction achats.
En plus d’introduire de nouveaux outils, modifiez-vous les
pratiques achats pour permettre aux acheteurs de dégager du temps
pour des activités plus stratégiques ?
Jusqu’à l’année dernière nous achetions tout et nous allions même parfois jusqu’à acheter pour le compte de nos fournisseurs. Nous tendons à présent vers l’achat de systèmes complets et nous laissons par exemple la main à nos fournisseurs pour acheter tout ce qui est sous-composants. Cela nous évite d’avoir à gérer une nomenclature et ensuite des flux logistiques complexes.
Nous avons aussi mis en place des logiques de VMI sur nos sites de production pour faire gérer certains stocks par des professionnels tels que Würth, ce qui nous apporte un gain de temps d’environ 10 %.
Comment l’organisation achats et Supply Chain que vous
dirigez est-elle structurée ?
Je coordonne ces fonctions avec une logique d’influence par la
preuve plus que de reporting hiérarchique. Elles représentent une
population d’environ 50 personnes pour ce qui est de la
logistique et 150 personnes pour les Achats. En central nous
avons une équipe très légère de cinq personnes en France et trois
aux États-Unis. Nous traitons en transverse les achats indirects
(flottes, voyages, télécoms) et les achats projet des grands appels
d’offres. Une personne dédiée au département IT traite les achats
d’informatique et une autre est dédiée à l’amélioration continue.
Au niveau Achats nous avons trois ou quatre leviers de
gouvernance : j’échange avec tous les directeurs achats des
filiales deux fois par mois et nous nous rencontrons au moins deux
fois par an. Nous nous appuyons sur les outils Yammer et Teams pour
désacraliser la communication au sein de la population achats et
faire circuler la parole sur l’échange de bonnes pratiques.
Dans quel sens voulez-vous faire évoluer la relation
acheteur-prescripteur ?
Interrogés sur leurs attentes vis-à-vis de leurs directions
achats, les directeurs de filiales ont principalement exprimé deux
exigences : que les acheteurs passent plus de temps à faire
des achats et moins de temps à faire des approvisionnements et
qu’ils travaillent avec des process achats et des méthodes Best in
Class. Une autre attente importante était d’avoir une vision sur
nos meilleurs fournisseurs à l’échelle du groupe. Pour y répondre,
nous avons mis en place un programme Gold Supplier qui va consister
à promouvoir les meilleurs fournisseurs suivant les critères
qualité, coût, délai, mais aussi leur volonté de partager une
vision stratégique de long terme et de s’impliquer dans des
co-développements. L’idée est de développer un maillage de
fournisseurs partenaires avec lesquels nous puissions nous projeter
dans l’avenir.
Nous devons aussi être capables de mieux partager à l’échelle du
groupe nos succès en matière de sourcing dans des pays Best Cost.
Le déploiement d’un outil de SRM va nous y aider, de même que le
programme Fives Gold Supplier et nous avons aussi nommé pour
cela des directeurs de sourcing au Mexique, en Turquie, en Inde et
en Chine afin d’animer notre base fournisseurs dans ces pays.Dans nos métiers, il est également important que l’acheteur parle d’égal à égal avec le bureau d’études et lui apporte une valeur ajoutée. Quand nous développons des produits – ce que nous faisons en permanence car, face aux défis de l’« industrie du futur », Fives est un groupe en constante évolution – les Achats doivent être capables d’orienter tout de suite les bureaux d’études vers le bon fournisseur, le bon produit. Il faut également qu’ils puissent présenter et expliquer nos développements aux fournisseurs. Faire des acheteurs le bras armé du bureau d’études sera un de nos principaux enjeux pour l’année prochaine.
Qu’avez-vous prévu pour faire monter en compétence les
acheteurs ?
Un des points forts dans ce domaine en 2019 et 2020
sera une formation juridique dont nous avons redéfini le contenu
avec notre direction juridique et qui sera destinée à étoffer les
compétences de toute la population achats et de certains
approvisionneurs. Nous allons également travailler sur les soft
skills et les bonnes pratiques achats en nous appuyant notamment
sur les directions achats identifiées comme Best in Class dans le
cadre du diagnostic effectué l’an dernier.
À vos yeux, les Achats constituent-ils un bon vecteur de
conduite du changement dans la perspective de promouvoir
l’émergence d’une culture commune au sein du groupe
Fives ?
En juillet le groupe Fives a lancé une réorganisation autour
de trois grandes activités et six divisions avec un objectif de
synergies et un programme de transformation, sous le nom évocateur
de One Fives, qui a pour objectif de faire mieux travailler
ensemble ces différentes activités. Notre défi consiste à combiner
cet objectif avec la logique entrepreneuriale inscrite dans l’ADN
du groupe. Les Achats sont un des départements où cette idée adhère
le mieux. Les directeurs achats et les directeurs de division sont
très en attente de cette coordination et du support du groupe parce
qu’ils se rendent bien compte qu’à plusieurs nous pouvons aller
beaucoup plus loin et plus vite qu’ils ne le feraient seuls.
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